Du corps au cerveau : comprendre comment le sexe et le genre influencent la santé du cerveau au fil du temps
Pourquoi les femmes sont-elles plus souvent atteintes de la maladie d'Alzheimer que les hommes?
C'est une question qui intrigue les médecins, les psychologues et les scientifiques depuis des décennies. Parmi eux figure la Dre Gillian Einstein, neuroscientifique et professeure de psychologie à l'Université de Toronto.
« Plus des deux tiers des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer au Canada sont des femmes », explique la Dre Einstein, également titulaire de la chaire Wilfred et Joyce Posluns en vieillissement et santé cérébrale des femmes. « Nous n'en connaissons pas exactement les raisons, mais ce pourrait être une combinaison de nombreux facteurs, tant biologiques que sociaux, qui ont des effets sur le cerveau. Certaines études laissent entendre que cette différence pourrait être liée à la réduction du taux d'hormones chez les femmes lorsqu'elles vieillissent, mais il faudrait approfondir la recherche pour voir quels autres facteurs pourraient être en jeu. »
La Dre Einstein examine actuellement la manière dont le sexe (les caractéristiques anatomiques et physiologiques avec lesquelles on naît) et le genre (les traits comportementaux, culturels et psychologiques liés aux attentes et aux normes sociales ainsi qu'à notre identité) influencent les changements cérébraux lors du vieillissement, de même que le rôle joué par les facteurs sociaux et les expériences de vie. Plus précisément, l'équipe du Einstein Lab (en anglais seulement) recrute des femmes, des hommes et des personnes de genres divers pour étudier la manière dont leur cerveau et leur comportement réagissent lorsqu'ils sont aux prises avec des problèmes de santé propre à leur sexe, subissent des traitements médicaux ou observent des pratiques sociales.
« Le cerveau n’est pas autonome : le cerveau, le corps et l’environnement sont interreliés, explique la Dre Einstein. Ainsi, si le développement et le fonctionnement du cerveau sont bel et bien influencés par la génétique, les hormones, le sexe et le genre, ils sont aussi influencés par la culture, l’environnement social et les expériences de vie. Par mon travail, je souhaite comprendre si – et comment – les expériences des femmes au début de leur vie jouent sur le développement de leur cerveau lorsqu’elles vieillissent, et si certaines expériences peuvent augmenter les risques d’être atteintes de la maladie d’Alzheimer plus tard dans la vie. »
Comprendre le lien entre les expériences de vie et le développement du cerveau
Le cerveau humain est étroitement connecté avec le reste du corps, et régule ainsi le fonctionnement, les émotions et les pensées. Cette interconnexion peut toutefois avoir ses désavantages, puisque les événements, les maladies ou les interventions médicales touchant directement à une partie du corps peuvent aussi avoir des répercussions à long terme sur le cerveau.
La Dre Einstein cite en exemple une étude épidémiologique américaine réalisée en 2007 qui a inspiré plusieurs de ses recherches actuelles. L'étude de 2007 a révélé que les femmes ayant subi une ablation chirurgicale des ovaires avant l'âge de 50 ans – et donc avant l'âge naturel de la ménopause – avaient des taux de démence et de maladie d'Alzheimer plus élevés à la fin de leur vie que les femmes ayant conservé leurs ovaires. Lorsque la Dre Einstein a pris connaissance de ces résultats il y a plus d'une décennie, elle a su qu'elle devait approfondir la question.
La neuroscientifique et son équipe ont entamé leur propre étude ciblant des femmes qui avaient subi une ablation des ovaires entre 30 et 60 ans pour examiner les effets à long terme de cette expérience sur leurs capacités cognitives (pensées, attention et mémoire). À l'aide de l'imagerie cérébrale, de tests neuropsychologiques et d'entrevues qualitatives, l'équipe suit les changements, le fonctionnement et le comportement du cerveau durant une période d'un à dix ans après la chirurgie.
« Il y a des indications médicales à l'ablation des ovaires, mais il est important de garder en tête que les patientes passent ensuite le reste de leur vie – parfois 20, 30 ou 40 ans – sans les bienfaits des hormones sécrétées par les ovaires, explique la Dre Einstein. Ce que nous ignorons, ce sont les effets sur le cerveau et le comportement au cours de cette période. Comment la mémoire de ces personnes sera-t-elle touchée par le vieillissement? Que se passera-t-il avec leur système immunitaire et leurs habitudes de sommeil? Qu'arrivera-t-il à l'ensemble de leur corps, y compris à leur conscience de soi et à leur identité? Ce sont les questions auxquelles nous cherchons à répondre avec cette étude. »
Aider les femmes à risque d'être atteintes d'un cancer
L’une des raisons pour lesquelles les patientes optent pour l’ablation des ovaires est le risque de cancer. Par exemple, les femmes présentant des mutations particulières des gènes BRCA1 et BRCA2 courent un risque beaucoup plus élevé que la moyenne d’être atteintes d’un cancer du sein ou de l’ovaire. C’est pour cette raison que certaines de ces femmes choisissent de se faire retirer les ovaires pour réduire de façon préventive le risque de cancer plus tard dans leur vie.
« La décision de se faire retirer les ovaires n'est pas prise à la légère, explique la Dre Einstein. Cela nécessite beaucoup de réflexion et une bonne compréhension des conséquences potentielles. Chez les femmes portant la mutation d'un gène BRCA, la chirurgie réduira bien le risque de cancer, mais elle augmentera potentiellement celui de la maladie d'Alzheimer. Nous voulons qu'elles en soient aussi conscientes. »
C'est pour cette raison que toutes les femmes recrutées pour l'étude de la Dre Einstein sont porteuses de la mutation des gènes BRCA. L'étude est encore en cours, mais la Dre Einstein est d'avis que l'information recueillie au cours des prochaines années sera utile aux femmes qui songent à avoir recours à la chirurgie préventive dans l'avenir, de même que pour celles qui ont déjà choisi de subir cette intervention. De manière plus générale, l'étude offrira de nouvelles perspectives sur les effets de l'œstradiol, l'un des nombreux types d'œstrogène, et sur les conséquences du sevrage d'œstradiol sur la cognition et la mémoire. Ces découvertes pourraient bénéficier à toutes les femmes, particulièrement si elles donnent lieu à de nouvelles interventions thérapeutiques et liées à la santé du cerveau.
« Comme les femmes vivent généralement plus longtemps que les hommes et souffrent plus souvent de troubles cérébraux liés à l'âge, le travail que nous effectuons est extrêmement important – non seulement pour étudier la santé des femmes âgées, mais aussi pour orienter les politiques et les solutions pouvant favoriser le bien-être au sein de la population âgée, affirme la neuroscientifique. Vieillir est un privilège. Notre travail vise simplement à nous assurer que les gens vieillissent en santé. »
La chaire Wilfred et Joyce Posluns en vieillissement et santé cérébrale des femmes (en anglais seulement) est une initiative de la fondation familiale du défunt Wilfred Posluns et de l'Initiative sur la santé cérébrale des femmes. Elle bénéficie du concours de la Fondation, des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), de la Société Alzheimer du Canada et de l'Institut ontarien du cerveau.
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