Des chercheurs canadiens au cœur d’un traitement « avant-gardiste et révolutionnaire » contre les AVC

Le Dr Mayank Goyal est neuroradiologue au Foothills Medical Centre de Calgary et chercheur principal de l’essai ESCAPE MeVO, qui porte sur les bienfaits de la thrombectomie endovasculaire pour traiter les accidents vasculaires cérébraux ischémiques touchant une artère de taille moyenne. (Photo : Riley Brandt, Université de Calgary)

En bref

L’enjeu

Les AVC sont la deuxième cause de décès dans le monde, faisant quelque six millions et demi de victimes chaque année. Au Canada, ils représentent la troisième cause de décès et la première cause d’invalidité chez les adultes; environ 300 000 personnes au pays vivent avec les séquelles d’un AVC.

La recherche

La thrombectomie endovasculaire (TE) constitue selon certains l’avancée médicale la plus importante depuis des décennies. Ce traitement révolutionnaire des AVC et nouvelle norme thérapeutique appliquée à l’échelle mondiale est l’œuvre d’une équipe de recherche du Calgary Stroke Program (en anglais seulement), fruit d’un partenariat entre l’Université de Calgary et les Services de santé de l’Alberta.

Les retombées

La TE pourrait sauver la vie de millions de personnes ayant subi un AVC et améliorer la qualité de vie de millions d’autres.

Roy Mackenzie ne passe jamais à côté d’une aventure. Ce soudeur de pipelines a passé presque toute sa vie à parcourir le Canada; si son travail le forçait à garder les pieds sur terre, sa véritable passion se trouvait dans les airs.

« J’ai été soudeur toute ma vie, mais ce que j’aimais vraiment faire, c’était voler », raconte l’homme de 86 ans depuis son domicile à Airdrie, au nord de Calgary, en Alberta.

À 25 ans, il a commencé à survoler les Prairies dans ses temps libres, en tant que pilote privé. Il a fait son premier saut en parachute alors qu’il était septuagénaire. Mais c’est lors d’une journée bien banale de l’été 2022 qu’il a connu sa plus grande frayeur.

« Je me suis effondré en passant l’aspirateur. Attention! C’est une activité dangereuse », plaisante-t-il.

Il peut maintenant en rire, mais le moment était terrifiant : il venait de subir un accident vasculaire cérébral (AVC). Son épouse Leila a appelé une ambulance, qui l’a conduit de toute urgence au Foothills Medical Centre (FMC) de Calgary.

« J’entendais tout le monde parler autour de moi, mais j’étais incapable de prononcer un mot et de bouger ma jambe et mon bras droits », se souvient M. Mackenzie.

Un tomodensitogramme a confirmé qu’il avait eu un AVC ischémique. Un caillot de sang s’était logé dans une artère cérébrale moyenne, bloquant du coup la circulation sanguine. Les cellules cérébrales, ainsi privées de nutriments essentiels, comme le glucose et l’oxygène, commencent à mourir en quelques minutes. Dès son arrivée à l’hôpital, M. Mackenzie a reçu une thrombolyse pour tenter de dissoudre le caillot, sans succès. On lui a alors proposé de participer à un essai clinique sur un nouveau traitement de l’AVC. Et il a accepté.

Une guérison « miraculeuse »

« J’étais allongé et je pouvais voir l’artère bouchée sur l’écran du médecin, on aurait dit des ombres de doigts dans mon cerveau. Tout à coup, le caillot a commencé à se déplacer sur l’écran. J’ai ressenti une pression dans ma tête, puis je me suis évanoui. »

Le lendemain, quand il a ouvert les yeux en salle de réveil, il était capable de parler et de bouger le bras et la jambe. Le surlendemain, il arrivait à se déplacer, à monter un escalier et à aller aux toilettes sans assistance. Quatre jours plus tard, il obtenait son congé de l’hôpital.

« Les autres patients dans les lits voisins ne pouvaient pas bouger ni faire quoi que ce soit, alors que je marchais et je parlais, j’avais l’impression d’être guéri. C’était un miracle. »

Le mot n’est pas trop fort : au Canada, l’AVC est la première cause d’invalidité chez les adultes et la troisième cause de décès. Les trois quarts des personnes qui survivent traînent des invalidités de gravité variable, ce qui exerce une pression sur le système de santé et sur leurs proches, souvent appelés à endosser le rôle d’aidants naturels.

La thrombectomie endovasculaire pour traiter les AVC : la plus grande avancée médicale depuis plusieurs décennies

L’essai auquel Roy Mackenzie a participé s’intitule ESCAPE MeVO, un essai randomisé international piloté par le Dr Mayank Goyal et le Dr Michael Hill, avec leur équipe du Calgary Stroke Program (en anglais seulement) (CSP). Subventionnés par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), ils étudient la validité de la thrombectomie endovasculaire (TE) pour éliminer les caillots dans des artères moyennes.

Le Dr Mayank Goyal réalisant une TE sur un patient (Photo : Quentin Collier, Calgary Stroke Program)

La TE consiste à insérer un cathéter et un guide au niveau de l’aine et à les pousser jusqu’aux vaisseaux du cou, à l’aide de l’imagerie médicale. Une endoprothèse est alors placée dans l’artère bouchée, qui fait souvent à peine un millimètre, avec un dispositif pour éliminer le caillot.

« Nous avons vu des personnes se présenter à l’urgence avec un AVC grave et rentrer chez elles le lendemain », se réjouit le Dr Goyal, chercheur principal de l’essai ESCAPE MeVO, professeur à l’Université de Calgary, neuroradiologue au Foothills Medical Centre et expert de renommée internationale de la recherche sur les AVC. « Nous avons été témoins de guérisons incroyables. C’est ce qui rend ce traitement aussi révolutionnaire. »

Le procédé est effectivement révolutionnaire. La TE s’est révélée la plus grande percée médicale contre les AVC depuis plusieurs décennies, principalement grâce au Dr Goyal, au Dr Hill et à leurs collègues du CSP, sous la direction du Dr Andrew Demchuk. Le CSP est une collaboration entre l’Université de Calgary et les Services de santé de l’Alberta (AHS).

En 2013, le trio a entrepris le premier essai ESCAPE en vue d’évaluer le recours à la TE pour traiter l’accident ischémique cérébral par occlusion d’une grosse artère, en parallèle avec 22 centres du monde entier. Les résultats préliminaires ont montré que la TE multipliait par plus de deux les chances qu’une personne regagne son autonomie et par trois ses chances de guérir complètement.

Ces résultats stupéfiants ont entraîné l’interruption brutale de l’étude en 2015 pour faire de la TE la norme de soins internationale des AVC touchant une grosse artère. ESCAPE MeVO est l’essai de demain : l’équipe tente de déterminer si la TE permet d’aussi bons résultats pour des artères plus petites, de taille moyenne.

« Il est plus difficile de déplacer des dispositifs dans une artère moyenne que dans une grosse, explique le Dr Goyal. Nous avons la chance de collaborer avec des chercheurs du monde entier pour accroître le nombre de participants à l’essai, mais aussi avec des entreprises du secteur privé qui mettent au point des techniques d’imagerie innovantes pour diagnostiquer plus facilement l’occlusion d’une artère moyenne et qui tentent d’améliorer les dispositifs adaptés aux artères plus petites. »

L’innovation en imagerie, clé du succès

Le Dr Mayank Goyal et le Dr Michael Hill analysant des scintigraphies cérébrales. (Photo : Riley Brandt, Université de Calgary)

« Notre succès repose d’une part sur nos efforts acharnés et d’autre part, sur un heureux hasard nous plaçant au bon endroit, au bon moment », ajoute le Dr Hill, cochercheur principal de l’essai ESCAPE MeVO, professeur à l’Université de Calgary, neurologue au FMC, directeur du réseau clinique stratégique des AHS sur la santé cardiovasculaire et les AVC, et nouvellement Officier de l’Ordre du Canada pour sa contribution à la recherche sur les AVC.

Selon le Dr Hill, ces avancées n’auraient pas pu survenir il y a 20 ans, car la technologie utilisée n’existait pas encore. L’amélioration de l’IRM et du tomodensitogramme permet d’explorer les vaisseaux sanguins et de repérer les caillots en haute résolution. Sans ces innovations, la TE serait impossible. Il précise que l’objectif de l’essai ESCAPE MeVO est de redonner l’autonomie à un plus grand nombre de personnes après un AVC.

« L’incapacité neurologique coûte très cher. Les personnes qui ne peuvent pas marcher, parler, manger ou se doucher seules représentent un lourd fardeau pour le système de santé. Avec ESCAPE MeVO, nous étudions des cas d’AVC plus modérés. Nous ne nous attendons pas à sauver plus de vies, mais nous espérons observer une baisse du taux d’invalidité. Redonner aux survivants leurs capacités fonctionnelles, leur autonomie et leur qualité de vie serait pour nous un résultat formidable. »

Une équipe canadienne à la pointe de la recherche mondiale sur les AVC

Le Dr Michael Hill et la Dre Johanna Ospel (Photo : Quentin Collier, Calgary Stroke Program)

Pour élargir le bassin de participants à l’essai ESCAPE MeVO, l’équipe du centre Foothills collabore avec un réseau international de chercheurs du Canada, des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’Allemagne. Leurs travaux innovants attirent une nouvelle génération de chercheurs.

« La rencontre du Dr Goyal m’a menée en recherche sur les AVC; ce sont les travaux de l’équipe qui m’ont incitée à venir au Canada », affirme la Dre Johanna Ospel. Cette radiologiste d’origine allemande a étudié la médecine en Suisse et fait à présent partie de l’équipe de l’essai ESCAPE MeVO dans le cadre de sa formation clinique au Foothills Medical Centre.

« Je fais des recherches sur les AVC depuis longtemps et j’ai rédigé de nombreux articles sur la TE, ajoute-t-elle. Maintenant, je pourrai réaliser moi-même l’intervention sur des patients. La boucle est bouclée. »

Le Dr Goyal reconnaît la contribution essentielle de centaines de personnes dans le monde pour réaliser ces essais, tout en admettant que la réussite de l’essai ESCAPE MeVO, pour aider à rétablir l’autonomie de patients comme Roy Mackenzie, serait une belle victoire pour le Canada. Il souligne que le travail est toutefois loin d’être terminé.

« La TE représente une grande avancée, mais non une panacée, indique le Dr Goyal. Les données montrent que certains des patients ayant eu une TE succombent à la maladie ou portent de graves séquelles : il nous reste donc encore un long chemin à parcourir. La vie des patients est réellement au centre de notre travail. »

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