Un réseau de recherche pancanadien met au point une approche intégrée à l’égard de la maladie de Lyme

La Dre Manisha Kulkarni traînera ce morceau de flanelle au sol pour prélever des tiques et ainsi évaluer le risque de contracter la maladie de Lyme dans certains sites de surveillance. (Photo : Rachel McGrath/CLyDRN)

En bref

L’enjeu

La maladie de Lyme, transmise par des tiques infectées, peut avoir des conséquences graves et durables sur la santé humaine. Le gouvernement fédéral a ajouté la maladie de Lyme à la liste des maladies à déclaration obligatoire à l’échelle nationale en 2009, mais il reste encore beaucoup de zones grises quant à la prévention, au diagnostic et au traitement de cette affection. En contexte de changements climatiques, les risques d’infection à la maladie de Lyme ne font qu’augmenter.

La recherche

En 2018, le Réseau de recherche national sur la maladie de Lyme a été mis sur pied grâce au soutien financier des IRSC dans le but de regrouper des scientifiques de diverses disciplines afin qu’ils étudient cette maladie émergente dans tous ses aspects. Notamment, le Dr George Chaconas étudie la pathogenèse à Calgary, et la Dre Manisha Kulkarni se concentre sur la prévention dans la région d’Ottawa-Gatineau. Selon une approche multidisciplinaire « Une seule santé », les chercheurs entendent les points de vue d’universitaires, de professionnels de la santé publique, de spécialistes de l’environnement, de prestataires de soins de santé, d’intervenants de l’industrie, de patients et de citoyens préoccupés.

Les retombées

À l’aide d’une technologie d’imagerie médicale de pointe, le Dr Chaconas a ouvert la porte à une nouvelle compréhension de la façon dont la bactérie (Borrelia burgdorferi) voyage « sur le pouce » dans le corps hôte pour causer la maladie de Lyme. Quant à la Dre Kulkarni, elle combine des données de surveillance des tiques et de télédétection avec les données épidémiologiques pour brosser un portrait plus clair des endroits où les tiques se développent, de ceux propices aux infections humaines et des façons de réduire la densité des populations de tiques et les risques d’exposition. Ses travaux orientent déjà les politiques de santé publique et les questions d’urbanisme, et se fondent sur des modèles de changements climatiques pour anticiper les potentielles zones à risque.

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Pas plus grosse qu’une graine de sésame, la tique à pattes noires peut être difficile à remarquer sur la peau humaine. Elle s'accroche à sa victime sans bruit, la mord sans provoquer ni sensation de piqûre ni démangeaisons, et se décroche une fois gavée de sang. Si la tique est infectée à Borrelia burgdorferi (un « spirochète »), elle peut transmettre la bactérie à son hôte. Une éruption cutanée en forme de cible finit alors généralement par apparaître, mais pas forcément. Souvent, l’humain ne saura jamais qu’il a été mordu par une tique… sauf s’il présente un jour des symptômes de la maladie de Lyme.

Le spirochète (B. burgdorferi) qui cause la maladie de Lyme peut être transmis par la tique à pattes noires et la tique occidentale à pattes noires. Ces tiques se retrouvent surtout dans les zones boisées et partiellement boisées, mais se terrent aussi dans les parterres couverts de feuilles et les herbes hautes. Dans les régions endémiques, des activités telles que la randonnée, le camping et même le jardinage ou la tonte de pelouse représentent un risque d’exposition.

Tique à pattes noires (Photo : Roman McKay/CLyDRN)

La maladie de Lyme se manifeste d’abord par des symptômes comme la fièvre, les frissons, la fatigue et les douleurs articulaires. Sans traitement, elle peut entraîner de graves problèmes de santé, tels que de l’arthrite, des troubles cognitifs et de l’arythmie cardiaque. De 5 à 10 % des patients qui suivent une antibiothérapie standard pourraient continuer de présenter des symptômes s’apparentant à ceux de la maladie de Lyme; c’est ce qu’on appelle le syndrome post-traitement de la maladie de Lyme.

Le gouvernement fédéral a ajouté la maladie de Lyme à la liste des maladies à déclaration obligatoire à l’échelle nationale en 2009, mais, en réalité, il surveille cette maladie émergente depuis plusieurs décennies. En 1994, 35 cas ont été relevés au Canada. En 2021, ce sont 1 347 cas qui ont été signalés, mais le nombre réel est probablement bien supérieur.

En 2018, le Réseau de recherche national sur la maladie de Lyme a été mis sur pied grâce au soutien financier des IRSC dans le but d’établir une réponse intégrée à la maladie de Lyme dans tous ses aspects. Ce réseau pancanadien regroupe des scientifiques de diverses disciplines et entend les points de vue d’universitaires, de professionnels de la santé publique, de spécialistes de l’environnement, de prestataires de soins de santé, d’intervenants de l’industrie, de patients et de citoyens préoccupés. À l’aide de cette approche « Une seule santé », le Réseau cherche à améliorer la prévention, le diagnostic et le traitement de cette maladie émergente.

Tout ce qu’il faut savoir sur le rôle de B. burgdorferi dans la maladie de Lyme

Le Dr George Chaconas et Mildred Castellanos, associée de recherche au laboratoire du Dr Chaconas se penchant sur la variation antigénique. (Photo : Kelly Johnston/Université de Calgary)

Au début de leur cycle de vie biennal, les tiques peuvent contracter des infections lorsqu’elles se nourrissent du sang de petits mammifères tels que les souris. Plus tard dans leur développement, les tiques peuvent transmettre ces infections aux humains; celles-ci prendront la forme de la maladie de Lyme. Le processus de transmission est toutefois complexe : pour qu’il se complète, la tique doit rester attachée à la peau au moins un ou deux jours. Le retrait rapide des tiques constitue donc un moyen efficace de prévenir la maladie de Lyme.

Le Dr George Chaconas, chercheur à l’Université de Calgary et membre du Réseau, se penche actuellement sur deux domaines de recherche complémentaires qui pourraient permettre de faire la lumière sur le développement de la maladie de Lyme et contribuer à la mise au point de traitements améliorés. Le Dr Chaconas est professeur au département de biochimie et de biologie moléculaire et au département de microbiologie, d’immunologie et de maladies infectieuses, et a été titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la biologie moléculaire de la borréliose de Lyme de 2003 à 2017.

« J’ai commencé à m’intéresser à la maladie de Lyme parce que cet organisme est intrigant pour un biochimiste spécialisé en protéines et en ADN comme moi », confie-t-il. « C’est comme s’il venait d’une autre planète. C’est très inhabituel, une bactérie avec deux douzaines de molécules d’ADN. Et la plupart sont linéaires plutôt que circulaires, et le bout des molécules linéaires est en épingle à cheveux. Comment est-ce possible? Comment ça fonctionne? »

L’imagerie intravitale permet de voir des spirochètes (éléments verts) s’étant échappés des veinules post-capillaires (vaisseaux bleus) d’une souris vivante. (Image de Björn Petri, Xi Tan and George Chaconas, reproduit de Chaconas et al, Current Issues in Molecular Biology. Live Imaging (en anglais seulement). 2021; 42:385-408)

Le Dr Chaconas étudie notamment une protéine importante située à la surface de la bactérie. Les anticorps reconnaissent normalement cette protéine et l’éliminent. Mais B. burgdorferi a la capacité de changer continuellement la séquence de la protéine, ce qui empêche les anticorps de la reconnaître. Ce processus est nommé variation antigénique.

« L’organisme a toujours une longueur d’avance sur le système immunitaire », souligne-t-il. « Si on peut arriver à comprendre comment le processus s’enclenche et l’arrêter, le système immunitaire aura une chance de rattraper l’organisme et de l’éliminer, une fois pour toutes. »

Xi (Tracy) Tan, qui s’intéresse à la transmigration, montre au Dr Chaconas une image obtenue par microscopie intravitale. (Photo : Kelly Johnston/Université de Calgary)

Le laboratoire du Dr Charconas étudie aussi la « fuite » du spirochète, qui s’échappe des vaisseaux sanguins pour envahir des tissus localisés dans le genou, le cerveau ou le cœur, par exemple. Lorsque la tique infectée se nourrit du sang humain, les spirochètes pénètrent la peau et se multiplient. Ils s’introduisent ensuite dans les vaisseaux sanguins, puis « s’échappent » du système circulatoire pour assaillir les tissus environnants.

« Essentiellement, ils voyagent “sur le pouce” partout dans le corps », image-t-il. « Ils peuvent s’évader des vaisseaux sanguins et se disséminer à peu près partout. S’ils se rendent dans le genou, ils peuvent provoquer l’arthrite de Lyme; dans le cerveau, toute une gamme de troubles neurologiques; dans le cœur, une cardite. »

Dans les 20 dernières années, la recherche sur le processus de fuite vasculaire a peu porté ses fruits. Le Dr Chaconas est toutefois parvenu à la faire avancer en observant le système immunitaire mammalien grâce à une technologie d’imagerie médicale de pointe développée par le Dr Paul Kubes. Depuis le début de leur collaboration (autour de 2008), les Drs Chaconas et Kubes ont copublié plusieurs articles.

« L’imagerie intravitale permet de voir les spirochètes dans les vaisseaux sanguins d’une souris vivante », explique le Dr Chaconas. « C’est ainsi que nous avons trouvé une nouvelle approche pour comprendre les mécanismes associés à la maladie. Une fois que nous connaîtrons son fonctionnement, nous pourrons trouver des moyens efficaces pour stopper la dissémination des spirochètes et le développement de la maladie. »

Comprendre les facteurs sociaux et environnementaux propices à la maladie de Lyme

Dre Manisha Kulkarni

L’une des missions du Réseau de recherche national sur la maladie de Lyme consiste à observer la propagation des tiques et à évaluer le risque de contracter la maladie de Lyme partout au Canada à partir de sites de surveillance établis dans toutes les provinces. La Dre Manisha Kulkarni, professeure agrégée à l’École d’épidémiologie et de santé publique de l’Université d’Ottawa et membre du Réseau, veille à cette mission et travaille avec son équipe à définir les déterminants sociaux et environnementaux des infections à la maladie de Lyme dans la région d’Ottawa-Gatineau. Quels facteurs environnementaux favorisent la présence de tiques? Dans quelle mesure la façon dont les personnes interagissent avec l’environnement influence-t-elle leur risque d’exposition?

Aussi petites qu’une graine de pavot, les nymphes de tiques sont difficiles à détecter et à retirer de la peau. Depuis 2017, l’équipe de la Dre Kulkarni se rend chaque été à plusieurs endroits d’Ottawa pour déterminer où les populations de nymphes sont actives. Les données ainsi recueillies sont greffées à celles de télédétection par satellite sur les facteurs climatiques et environnementaux propices à la présence de tiques, par exemple les différentes couvertures terrestres et différents types de forêts, et la présence de souris, d’autres rongeurs et d’oiseaux faisant partie du cycle infectieux.

« Combinées, les données de terrain et les données satellites brossent un portrait plus clair et plus vaste des zones où les tiques sont susceptibles de se trouver », précise la Dre Kulkarni. « À l’aide de ces modèles spatiaux et des données épidémiologiques – là où vivent les personnes infectées –, nous pouvons établir où les risques d’infection humaine sont les plus élevés avec précision, par exemple par quartiers. »

Le travail de l’équipe consiste également à dépister les infections chez les tiques, puisqu’elles ne sont pas nécessairement toutes porteuses de la bactérie causant la maladie de Lyme. Par exemple, en 2016, la prévalence des infections chez les tiques était supérieure au seuil recommandé (20 %). L’année suivante, en 2017, Santé publique Ottawa a statué pour la première fois que la ville était considérée comme une zone à risque pour la maladie de Lyme.

« Nos modèles nous permettent de prédire où les tiques seront présentes selon les conditions environnementales et d’anticiper les effets à venir des changements climatiques et d’autres facteurs environnementaux variables », explique la Dre Kulkarni. « Nous pouvons ainsi observer les tendances et prévenir les prestataires de soins de santé en cas d’augmentation du risque. Il est très important de ne pas tarder pour dépister et traiter la maladie de Lyme. »

Les travaux de la Dre Kulkarni servent à orienter non seulement les politiques de santé publique, mais également les réponses aux enjeux d’urbanisme. Son équipe observe la disposition des zones et terrains boisés dans les quartiers et des sentiers récréatifs pour mesurer leur incidence sur les taux d’infection dans la population environnante. Ces initiatives donnent lieu à des moyens de prévention tels que l’étalement de copeaux de bois dans les sentiers pour repousser les tiques.

« Je crois qu’il y a beaucoup de façons d’outiller les citoyens à l’échelon local », suggère-t-elle. « Les gens n’ont pas à se priver d’aller dehors, mais ils doivent connaître les risques et les précautions à prendre. »

Comment se protéger de la maladie de Lyme

Voici quelques trucs pour réduire son exposition à la maladie de Lyme.

  • Porter des vêtements clairs (pour mieux voir les tiques).
  • Rentrer le bas du pantalon dans les chaussettes (pour empêcher les tiques de grimper à l’intérieur du pantalon).
  • Appliquer un chasse-moustiques sur la peau.
  • Porter des vêtements traités à la perméthrine (un insecticide qui élimine les tiques).
  • Rester sur les sentiers tracés et éviter les herbes hautes.
  • Éliminer toute tique ayant pu s’accrocher aux vêtements en les mettant au sèche-linge.
  • Vérifier la présence de tiques sur toute partie du corps ayant pu être exposée.
  • Maintenir la pelouse et la végétation à une longueur courte.
  • Ramasser les piles de feuilles mortes sur la pelouse.
  • Étaler des copeaux de bois entre la pelouse et les zones non entretenues.
  • Porter des gants pour jardiner.

Conseils pour retirer une tique

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